La ligne à grande vitesse Lyon Turin, un grand projet inutile et ruineux avec un gros impact sur l’environnement


Contribution de Daniel Faudry

Le projet

Le projet a vu le jour dans les années 80, à une époque où tout le monde voulait son TGV. Il s’agit alors d’acheminer les skieurs à une grande gare Dauphiné-Savoie. Le projet stagne jusqu’au drame du tunnel du Mont-Blanc et la déviation des camions par la Maurienne. Il est alors relancé comme indispensable face à « l’inéluctable augmentation du transport de marchandises » et la nécessité de réduire la circulation des camions.

Actuellement, il est prévu :

  • un tunnel international à deux tubes, dit « tunnel de base » de 57 km, entre St Jean de Maurienne et Susa,
  • une nouvelle ligne ferroviaire depuis la gare Lyon-St-Exupéry jusqu’ à St Jean de Maurienne.
  • Les accès depuis Lyon-St-Exupéry seraient réalisés en deux phases, d’abord une ligne mixte (voyageurs et fret) à grande vitesse jusqu’à Chambéry, puis une ligne fret à partir d’Avressieux, passant en tunnel sous la Chartreuse, traversant le Grésivaudan entre Chapareillan et Laissaud avant d’entrer dans un deuxième tunnel sous Belledonne, jusqu’à St Jean de Maurienne. Cette dernière, à une seule voie, serait doublée plus tard.

 

L’état d’avancement

L’état d’avancement est difficile à décrire précisément, faute d’informations suffisantes de la part des maîtres d’ouvrage et du flou entretenu sur la notion de travaux de reconnaissance, comprenant les descenderies qui devraient ensuite servir à l’aération et une galerie de reconnaissance pour laquelle un marché a été signé en mai 2015 et qui devrait être creusée au diamètre de l’un des futurs tubes ( !).

 

Le coût

L’ensemble du projet est estimé à 26,1 milliards d’euros, chiffre repris par la Cour des comptes, dont 8,5 pour le tunnel international (montant peu crédible, alors que le tunnel du St Gothard achevé en 2015 a coûté 11,2 milliards pour la même longueur). L’UE pourrait apporter 40% de cette dernière somme (le reste de la partie internationale et la totalité des accès étant à la charge de l’État français et des collectivités territoriales) mais ne dispose pas actuellement des moyens budgétaires pour s’engager. On peut observer que ces dernières estimations sont nettement supérieures à celles annoncées précédemment (3 milliards en 92, 12 en 2002 …).

On peut prédire, sans grands risques de se tromper que ces coûts déjà très élevés, seront dépassés comme il est d’usage dans ce type de projet (surgénérateur de Malville puis EPR, tunnel sous la Manche etc.). Malgré les recommandations de la Cour des comptes et l’engagement du premier ministre, ces coûts n’ont d’ailleurs pas été certifiés par des experts indépendants des promoteurs du projet.

 

Les impacts environnementaux

Les impacts sur l’environnement de tels travaux sont évidemment immenses mais aussi difficiles à prévoir exactement, malgré les reconnaissances géologiques.

Passons ( !) sur la réduction des surfaces agricoles d’environ 1 000 ha, l’atteinte aux paysages, la destruction de zones humides et de sites Natura, les expropriations, les norias de camions générées par les chantiers etc.

Du côté italien, c’est la présence d’amiante qui est le plus souvent mis en avant.

Des deux côtés, ce sont les problèmes hydrogéologiques qui vont avoir les plus graves répercussions, sans qu’on puisse encore les évaluer : le percement du tunnel entrainera de fortes arrivées d’eaux, de l’ordre de 300 millions de m3/an. Ce drainage massif en profondeur provoquera des tarissements de sources, des assèchements de ruisseaux, donc affectera les ressources en eau et la biodiversité, selon des études du BRGM de 1977 et des rapports commandités par l’UE en 2005.

Enfin, il faudra stocker des montagnes de déblais, l’équivalent de 20 pyramides de Khéops !

 

L’inutilité du projet

Toutefois, avant même de s’interroger sur les moyens de minimiser ces atteintes à notre environnement en modifiant le tracé ou tel aspect du projet, c’est son inutilité qui conduit à le refuser. S’il n’est pas justifié par un intérêt général, il ne vaut pas la peine de couper une seule fleur pour le réaliser.

Comme pour bien d’autres infrastructures (ND des Landes …), les prévisions de trafic sont fondées sur l ‘extrapolation des évolutions constatées jusque dans les années 80 … et constamment démenties ensuite. Depuis le milieu des années 90, le tonnage entre la France et l’Italie, décroît, aussi bien sur route que sur rail, y compris en additionnant les passages du Mont Blanc et du Fréjus.

De plus, la ligne actuelle n’est utilisée qu’à moins du cinquième (pour ne pas entrer dans les chicaneries de %) de sa capacité.

Les tenants du projet arguent aussi de la pente de la ligne qui serait un obstacle au transfert modal (diminution de la vitesse, nécessité de doubler les motrices). Pourtant, la ligne suisse du St Gothard et la ligne autrichienne du Brenner qui ont le même âge et les mêmes caractéristiques, font passer cinq fois le volume de la ligne actuelle du Mont Cenis.

Il y a donc, en France, d’autres obstacles au transfert modal que les caractéristiques de l’infrastructure et la nouvelle ligne ne les lèvera pas par enchantement. Sans doute certains des promoteurs du projet ne sont ils intéressés que par la réalisation des travaux. Ce qui se passera après … tant pis, les profits auront été réalisés, eux.

En fait, les partisans du projet ont manipulé les chiffres, y compris dans le dossier de l’enquête publique de 2012, par exemple en agrégeant les volumes de trafic à travers la totalité de l’arc alpin, qui sont eux effectivement en hausse.

Autres manipulations, celles du choix des commissaires enquêteurs dont on a découvert qu’ils avaient des liens avec des entreprises et bureaux d’études impliquées dans le projet et qu’ils avaient déjà rendu des avis favorables à des projets connexes au Lyon Turin. Leur impartialité et leur indépendance, tout comme l’honnêteté de leurs conclusions sont donc plus que douteuses.

Des collusions ont aussi été mises à jour entre Lyon Turin Ferroviaire, maître d’ouvrage du tunnel transfrontalier et des entreprises adjudicataires de marchés.

Cerise sur le gâteau : des dirigeants d’entreprises italiennes travaillant sur le chantier ont été condamnés pour leurs liens avec la Ndrangheta.

 

L’opposition au projet au nom de son inutilité n’est pas que le fait des « écolos » ou d’organisations de défense de l’environnement. La Cour des comptes, un ancien président de la SNCF, un ancien président de RFF, des universitaires ne se laissent pas berner par les incantations sur l’Europe ferroviaire à grande vitesse, la dynamique économique ou l’augmentation du nombre d’AR entre Lyon et Turin en moins de deux heures. L’actuel président de la SNCF lui même s’inquiétait en mars 2016 des conséquences de l’argent consacré à ce projet sur la modernisation du réseau existant.

Dans son avis pour l’enquête publique, la FRAPNA conteste l’opportunité du projet décidé sans débat public et fondé sur la perspective irréaliste et non souhaitable d’un accroissement du trafic de marchandises entre la France et l’Italie, avant d’analyser les impacts du projet et les mesures qui permettraient de les minimiser. http://www.lyonturin.eu/documents/docs/Avis%20Lyon%20Turin%20FRAPNA%20Total.pdf

Par un revirement inexplicable, la FNAUT qui avait d’abord qualifié le projet d’hérésie, reprend maintenant les antiennes de Lyon Turin Ferroviaire. http://www.fnaut.fr/actualite/communiques-de-presse/390-lyon-turin-la-fnaut-approuve-le-rapport-destot-bouvard On peut toutefois remarquer qu’elle parle prudemment « d’une ambition à confirmer » et d’une « hausse éventuelle du trafic routier transitant par le tunnel du Fréjus »

Enfin, on doit se demander comment une ligne ferroviaire aussi coûteuse pourrait être rentabilisée. La ligne Perpignan-Figueras qui a coûté 24 millions/km est en effet en faillite depuis juillet 2015 et pour Lyon Turin, l’investissement serait de 100 millions/km …

 

Ce que nous voulons : organiser le ferroutage dès maintenant et non en en 2035 ou 2045

  • en utilisant les infrastructures existantes (lignes et plateformes de chargement)
  • en doublant les voies uniques entre Grenoble et Annecy, ainsi qu’entre Grenoble et Valence, ce qui permettrait d’y tripler le nombre de trains de fret ou de voyageurs.

 

Les dernières nouvelles

Le Conseil d’État a rejeté en novembre 2015 les recours contre la déclaration d’utilité publique des accès côté français.

Néanmoins, l’opposition ne faiblit pas et le projet est encore loin d’être assuré d’aboutir, malgré l’inauguration d’un tunnelier en juillet dernier.

Au niveau national des déclarations récentes d’institutions publiques montrent de fortes réticences :

-un groupe de travail du Sénat demande que « les grands projets et notamment le tunnel ferroviaire frontalier de la future LGV Lyon Turin fassent l’objet d’une contre expertise du Commissariat général à l’investissement rattaché au premier ministre »

– la Cour des Comptes a encore confirmé en août 2016 l’impossibilité de financer le Lyon Turin.

Au niveau régional, le vice-président transports de la région Auvergne Rhône-Alpes a affirmé sa volonté de développer dès maintenant le ferroutage afin de prouver – ou non – l’utilité de la nouvelle ligne. La ville de Grenoble s’est retiré du financement du projet et la ville de Turin a exprimé elle aussi son opposition.

De plus, le financement n’est pas acquis, que ce soit les financements nationaux ou le financement européen.

 

 

L’ensemble des documents sur lesquels s’appuie cette synthèse peuvent être retrouvés sur : http://www.lyonturin.eu/

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